Introduction
En général, les activités métier ont été planifiées et évaluées en mettant fortement l'accent sur les performances
financières. D'un côté, les responsables peuvent définir des objectifs financiers et non financiers, mais ils peuvent
aussi d'un autre côté se soucier uniquement des résultats des mesures financières. Cette non correspondance des
objectifs et des mesures entraîne malheureusement un comportement préjudiciable mais prévisible.
L'entreprise moderne ne doit pas seulement être compétitive sur le plan financier, elle doit l'être simultanément sur
plusieurs fronts. Les objectifs métier ne doivent pas se contenter de définir des mesures financières. Ils doivent
également mettre l'accent sur la satisfaction des employés ou des clients par exemple. Il ne suffit pas de définir
différents objectifs métier pour obtenir cette satisfaction car certains objectifs peuvent être plus évalués ou
appliqués que d'autres.
La modélisation des objectifs métier permet d'envisager la meilleure manière de mettre en oeuvre la stratégie métier à
court et à long terme et de définir un ensemble équilibré de mesures garantissant que les processus métier prennent en
charge la stratégie.
La question qui se pose est donc la suivante : comment mettre en oeuvre une stratégie, et en particulier une stratégie
qui pourrait nécessiter des changements radicaux ?
La stratégie métier définit la manière dont l'organisation doit interagir avec son environnement pour atteindre son
objectif. De ce fait, la stratégie métier met essentiellement l'accent sur la perspective externe de l'organisation,
plutôt que sur sa gestion en interne. La stratégie métier et les objectifs métier sont étroitement liés : les objectifs
métier définissent ce qui doit être accompli pour réaliser un objectif de plus haut niveau, tandis que la stratégie
métier indique les limites dans desquelles seront définis ces objectifs. La stratégie ne prescrit cependant pas
d'objectifs spécifiques.
La stratégie est une affaire de positionnement. En termes militaires, la stratégie organise la préparation d'une
bataille et son issue et garantit que cette issue contribue à la réalisation de l'objectif de la guerre [CLA97]. La bataille en elle-même soulève des questions d'ordre tactique. Dans le
monde des affaires, la stratégie décrit la position concurrentielle que doit occuper l'organisation à terme.
L'organisation ne peut atteindre son objectif qu'après avoir trouvé une position concurrentielle viable. Les objectifs
décrivent ce qui doit être accompli pour atteindre cette position. La stratégie métier et les objectifs métier
s'occupent du but à atteindre, et non de la façon dont il sera atteint.
Kenichi Ohmae définit la stratégie comme quelque chose qui confère à une organisation un avantage concurrentiel durable
[OHM91]. Les objectifs métier doivent donc mettre l'accent sur ce qui permet à
l'organisation d'obtenir un avantage concurrentiel, car c'est le seul élément de nature stratégique. Nous pouvons
conclure de tout ceci que les objectifs métier doivent définir ce qui doit être accompli afin d'atteindre une position
concurrentielle durable.
Les objectifs métier sont en général de haut niveau et définis sur le long terme. Cependant, ils doivent être convertis
à un niveau concret et mesurable avant de pouvoir être utilisés pour gérer les activités du métier. Ce type d'objectif
métier mesurable et à la durée de vie limitée est souvent simplement appelé objectif. Les objectifs métier doivent donc
être hiérarchisés, chaque objectif métier (ou simple objectif) étant tracé vers les objectifs de plus haut niveau qu'il
prend en charge. Dans [KAP96] Kaplan
et Norton expliquent que "si l'on n'établit pas ces liens, les individus et les départements de l'organisation peuvent
optimiser leurs performances au niveau local sans contribuer à la réalisation des objectifs stratégiques."
Kaplan et Norton introduisent le concept de lien, mais ils ne fournissent pas de notions ou de méthodes venant
l'étayer. Il est absolument essentiel d'avoir une vision claire de la hiérarchie des objectifs métier et de la
façon dont elle est prise en charge par les activités du métier (comme indiqué dans les cas d'utilisation métier). Cela
permet aux changements de se propager rapidement depuis le niveau stratégique vers le bas. Cette capacité à changer
rapidement la direction de l'opération dans son ensemble, appelée souplesse stratégique, confère à
l'organisation une meilleure réactivité aux changements que ses concurrents.
Exemple de hiérarchie d'objectifs métier dans une organisation de services de paiement :
L'objectif métier de haut niveau appelé "Confidentialité des données client" a été converti en objectifs métier de
niveau inférieur, plus facilement appréhendables pour les différents services de l'organisation. La définition de ces
objectifs métier plus concrets permet de résoudre le problème de l'évaluation objective du respect de la
confidentialité des données client. Il est parfois nécessaire de pousser plus loin encore la conversion d'un ou de
plusieurs objectifs.
Les objectifs n'ont pas d'utilité propre. Ils doivent être convertis en actions pour prendre du sens. Tous les
objectifs métier doivent être directement pris en charge par au moins un processus métier ou définis plus en détail en
termes de sous-objectifs plus concrets.
Il a toujours été malaisé de définir une stratégie métier et d'en tirer des objectifs pour l'étayer dans les différents
départements de l'organisation. Dans l'entreprise moderne, les processus métier sont intégrés et interfonctionnels, ce
qui simplifie vraiment le processus d'affectation des objectifs métier. Les objectifs métier sont affectés à des
composantes de l'organisation dans le cadre de ces processus métier intégrés, qui ajoutent de la valeur aux parties
prenantes du métier. La contribution d'une composante spécifique de l'organisation à la satisfaction du client peut par
exemple être définie et évaluée.
La réponse à la question posée plus haut doit être élaborée à l'aide d'une méthode permettant à l'utilisateur d'avoir
une vue d'ensemble des actions entreprises. Cette méthode doit aussi indiquer à l'utilisateur les conséquences de
toute action entreprise. Cette méthode est appelée "Tableau de bord prospectif" (Balanced Scorecard - BSC) de Kaplan et
Norton [KAP96]. Le tableau de bord prospectif définit une technique de conversion de la
stratégie métier en objectifs métier et en mesures, ce qui garantit un certain équilibre dans la réalisation de tous
les objectifs.
Kaplan et Norton écrivent : "Les employés en contact direct avec les clients doivent comprendre les conséquences
financières de leurs décisions et de leurs actions ; les cadres supérieurs doivent connaître les moteurs de la réussite
à long terme sur le plan financier. Les objectifs et mesures développés dans le tableau de bord prospectif (...) sont
dérivés d'un processus descendant commandé par la mission et la stratégie du métier."
La théorie qui sous-tend le tableau de bord prospectif est assez logique :
-
Définissez la situation future de l'organisation (position concurrentielle désirée).
-
Déterminez le métier et le type d'organisation requis pour atteindre cette position (objectif ou mission).
-
Définissez la relation existant entre la mission et les activités du métier (objectifs métier).
-
Définissez plus précisément ce qui doit être atteint et le moment où les résultats doivent être obtenus (objectifs
opérationnels).
Les objectifs métier sont intégrés au tableau de bord en quatre catégories représentant quatre perspectives. On
pourrait en conclure qu'il n'existe que quatre types d'objectifs métier. En fait, la méthode d'intégration dans le
tableau de bord et dont les types d'objectifs métier sont arbitraires. Une organisation peut définir autant de
types d'objectifs que nécessaire.
Perspective financière : présente un historique et indique comment atteindre les objectifs financiers et
vérifier les performances.
Perspective client : s'attache à l'étude de la situation actuelle et indique comment améliorer les relations
avec les clients.
Perspective d'apprentissage et de croissance : orientée avenir, indique comment maintenir la croissance et
poursuivre les efforts d'amélioration.
Perspective de processus interne : s'attache à l'étude de la situation actuelle et indique les processus
internes devant être réalisés en visant l'excellence pour obtenir la satisfaction des clients et des parties prenantes.
L'une des principales caractéristiques du tableau de bord prospectif est la relation de cause à effet qui doit exister
entre toutes les perspectives, ainsi que, de ce fait, entre tous les objectifs métier identifiés. L'exemple suivant,
simplifié mais très parlant, illustre cette caractéristique.
Perspective
|
Objectif
|
Apprentissage et croissance
|
Disposer d'un personnel qualifié assez nombreux.
|
Processus interne
|
Exécuter des processus de manière appropriée.
|
Client
|
Satisfaire les attentes du client défini.
|
Financière
|
Maintenir ou améliorer la rentabilité du métier.
|
Il s'agit d'un processus itératif dans la mesure où le maintien ou l'amélioration de la rentabilité permettra à
l'organisation de continuer à employer le nombre de personnes qualifiées nécessaire. Comme l'écrivent Kaplan et Norton,
"Si vous ne pouvez l'évaluer, vous ne pouvez le gérer." Il est donc essentiel que les objectifs métier puissent
être évalués de manière objective, que ce soit en termes de quantité ou de qualité. (Voir la section ci-après.)
Il ne suffit pas d'avoir l'intention d'atteindre les objectifs pour garantir la réalisation de la stratégie métier. Les
personnes impliquées doivent recevoir un retour d'informations sur leurs actions afin d'approfondir leurs connaissances
et de s'améliorer. L'évaluation de la réalisation des objectifs métier permet de procéder de plus en plus souvent
à l'alignement des activités métier sur la stratégie. Dans [ERI00],
Eriksson et Penker identifient des objectifs quantitatifs et qualitatifs. Il est facile d'évaluer les objectifs
quantitatifs dans la mesure où un attribut doit avoir une valeur spécifique à un moment donné. Les objectifs
qualitatifs sont en revanche plus subjectifs : une intervention humaine est donc nécessaire pour déterminer si
l'objectif a été réalisé.
Le recours aux évaluations est pertinent pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les évaluations fournissent une
indication sur la réussite de la mise en oeuvre de la stratégie métier à différents niveaux du métier. Elles permettent
également d'avoir une vue d'ensemble de l'efficacité des objectifs. Elles offrent enfin un mécanisme de retour
d'informations permettant d'apporter de petits ajustements à la stratégie en fonction des conditions de fonctionnement.
Ce retour d'informations peut également être cumulé et agrégé sur une longue période ; les ajustements réalisés sur la
stratégie sont alors plus importants.
Si les objectifs métier ne sont pas convertis en niveaux suffisamment évaluables dans l'organisation, ils peuvent
rester trop abstraits pour que les employés s'y réfèrent ; ces derniers ne se sentiront donc très probablement pas
encouragés à intégrer à leurs tâches quotidiennes la réalisation de ces objectifs.
La définition actuelle d'Objectif métier comprend les détails permettant de mesurer
l'objectif dans le futur ; un modèle plus complet, utilisé couramment en modélisation, est présenté dans la figure
ci-dessous.
Objectif ou sous-objectif : Les organisations définissent des objectifs permettant de remplir leur mission et de
définir la stratégie à suivre. Selon la méthodologie SOMA, le terme objectif indique une aspiration métier qui commence
à un niveau élevé. Par exemple, un objectif de haut niveau peut être l'augmentation de bénéfices. Cet objectif peut
être décomposé en sous-objectifs tels qu'"augmenter les bénéfices à partir de <x>" et "augmenter les bénéfices à
partir de <y>".
Indicateurs clés de performance : Ils sont utilisés pour déterminer si une entreprise remplit ses objectifs, ou
pour estimer le niveau des performances des processus métier. Par exemple, pour l'objectif "augmentation de bénéfices",
un indicateur clé peut être "augmenter les bénéfices de 5 % pour l'année fiscale suivante". Ceci permet d'estimer si
l'objectif a été atteint.
Métriques : Elles identifient le type de mesure qui doit être collectée afin d'évaluer l'état des indicateurs
clés de performance. Pour un indicateur tel qu'"augmenter les bénéfices de 5 % pour l'année fiscale suivante", une
métrique peut être "enregistrer les bénéfices à partir de toutes les transactions générant des bénéfices". Il est
ensuite nécessaire de prendre des mesures pour chaque transaction pertinente, sur tous les systèmes supportant ces
transactions. Par conséquent, toutes les mesures individuelles dictées par la métrique doivent être agrégées et
enregistrées de façon à ce qu'il soit possible de déterminer si la clé de performance associée à été réalisée.
Les objectifs métier étant de nature diverse, ils peuvent sembler en conflit. Exemple typique : les employés d'un
centre d'appels doivent traiter le plus d'appels possible dans un temps donné (rendement) tout en fournissant un
service de grande qualité à chaque client (ce qui prend du temps). Si le responsable du centre d'appels récompense
l'employé qui traite le plus d'appels, le niveau de service au client baissera. D'un autre côté, si le responsable
récompense l'employé qui répond le mieux aux attentes des clients, c'est le rendement qui baissera. Volume versus temps
ou qualité versus coûts constituent des exemples de conflits d'objectifs identifiables évoqués par Eriksson et Penker.
Ces derniers ont également décrit une technique, qui utilise une association stéréotypée
<<contradictoire>>, permettant de modéliser de manière explicite les conflits entre objectifs métier.
Les responsables doivent avoir à l'esprit ce dilemme très courant lorsqu'ils définissent les objectifs métier.
Cependant, la stratégie d'une organisation ne dépend pas d'un seul et unique objectif métier, tout comme une simple
bataille ne suffit pas à gagner une guerre. La direction prise par l'organisation est la conséquence de l'ensemble des
actions entreprises. Un objectif métier peut donc sembler contre-productif, mais lorsqu'il est évalué en tant que
partie du tout, le résultat est positif. Cela signifie que des cas d'inefficience localisés peuvent en fait contribuer
indirectement à la stratégie métier. Néanmoins, en choisissant de ne pas appliquer un léger "correctif de trajectoire"
(par exemple parce qu'une personne est plus intéressée par les avantages résultant des performances de son
département), on peut mettre l'organisation dans son ensemble en position de faiblesse.
Exemple
Prenons un grand magasin de meubles qui vend des produits de qualité moyenne à bon marché dans le cadre du très vaste
marché des enseignes de taille moyenne. Les salles d'exposition du magasin sont flanquées d'un entrepôt dans lequel les
clients viennent chercher les articles qu'ils ont achetés. Les clients peuvent également choisir de se faire livrer
leurs achats à domicile. La hiérarchie des objectifs métier de cette entreprise pourrait se présenter comme suit :
Notez que l'objectif métier "Niveau de qualité acceptable" suffit à fidéliser les clients habituels, mais ne permettra
pas d'attirer une nouvelle clientèle. On n'achète pas quelque part parce que la qualité n'est pas moindre que chez les
concurrents. On a envie d'acheter dans un magasin parce que les prix sont plus bas et parce que c'est pratique.
Il peut avoir été décidé que la qualité des produits correspondait aux attentes des clients et qu'il n'était donc pas
nécessaire d'améliorer la qualité. Il est cependant possible que les installations aient besoin d'être optimisées.
L'objectif métier "Amélioration de la qualité des installations" peut alors être subdivisé en plusieurs sous-objectifs
: par exemple, "Espace de stationnement suffisant", "Toilettes propres" et "Signalétique multilingue".
Souvenez-vous qu'il doit être possible d'évaluer les objectifs métier ; si ce n'est pas le cas, il est peut-être
nécessaire de continuer à les affiner. Les prix peuvent être comparés de manière objective à ceux des concurrents, mais
il est par exemple très difficile d'évaluer les services offerts aux clients. Ces prestations particulières ont donc
été réparties en "Accessibilité", "Disponibilité immédiate" et "Horaires d'ouverture", qui permettent de quantifier ces
services de manière plus concrète. Les horaires d'ouverture peuvent par exemple être optimisés en calculant le nombre
de clients présents dans le magasin à chaque heure de la journée. L'accessibilité peut être (en partie) définie sur la
base du nombre de moyens de paiement acceptés. La disponibilité immédiate des produits dépend du stock de marchandises
en magasin, qui peut être évalué à partir du pourcentage de livraisons différées directement demandées par les clients,
et de la date de livraison, qui est également mesurable de manière objective.
Conclusion
Une organisation a une vision, qui est ensuite convertie en stratégie. La stratégie doit être exécutée au moyen
des objectifs métier, évalués au cours des opérations de l'organisation. La vision est mise en oeuvre par des
travailleurs métier et des acteurs métier qui interagissent pour réaliser les cas d'utilisation métier. Les objectifs
métier sont la "colle" qui unit la stratégie métier aux cas d'utilisation métier. S'ils sont bien définis, ils
permettront à l'organisation d'avoir une vue d'ensemble de la situation afin maintenir le cap ou d'en changer.
Les objectifs métier doivent être définis à un niveau suffisamment élevé de façon à ce que la priorité de toute
l'organisation soit la vision. Les simples objectifs et les mesures doivent être définis à un niveau suffisamment bas
dans l'organisation pour que les employés puissent s'y reconnaître. Les objectifs métier doivent pouvoir être évalués
pour être efficaces, que ce soit dans une optique quantitative ou qualitative (par la somme des sous-objectifs).
Il existe plusieurs techniques permettant de définir et d'évaluer les objectifs métier ; l'une d'elles est le tableau
de bord prospectif. Quelle que soit la technique utilisée, il convient de l'appliquer en tant qu'outil de gestion, et
non comme un simple instrument de mesure.
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